Au-dehors il fait nuit. Port-au-Prince et ses alentours sont dans une totale obscurité. L’horloge sur le mur marque près de huit heures. Le premier anniversaire de l’horreur du 11 septembre se rapprochant, sur l’écran face au grand lit, elle revoit avec la même émotion, dans les nouvelles, les images déroutantes, bouleversantes, commémorant la perte l’an dernier de plus de trois mille innocents. Son petit garçon de huit ans, comme elle, regarde et ne dit rien, tout en croquant les «egg rolls» qu’un à un ils trempent dans le plat contenant la sauce chinoise. Ils se souviennent... Jamais ils n’oublieront.
Deux, trois minutes peut-être, s’écoulent, d’autres images de dures réalités relatées dans Unsolved mysteries, comme tous les soirs de la semaine, défilent. En dessous de la chambre, le bruit causé par la barrière de fer lui annonce avec soulagement, l’arrivée de son mari.
«Ouvrez la porte, ouvrez la porte!», l’entend-t-elle soudain hurler, présentant le danger, d’une voix criarde, paniquée. Un premier coup d’arme déchire le calme de la nuit, et comme dans un cauchemar, résonne dans toute la maison. Elle saute du lit, le plat, de ses mains, s’envole dans l’air. A peine a-t-elle le temps de crier à sa fille de dix-huit ans, branchée sur le net dans le bureau à côté, de se mettre à l’abri, elle s’enferme à double tour avec son fils pour le protéger.
Un deuxième coup plus rapproché l’a fait passer à un état second, qu’aucuns mots, n’arriveraient, selon elle, à dépeindre. Sa fille en sanglots, appelle son père qui ne répond pas. Elle comprend maintenant que les agresseurs sont dans la maison! La serrure de la faible porte de la chambre cédera d’un moment à l’autre, pense-t-elle, désespérée. Sur le balcon, de toutes ses forces, elle crie les noms de ses voisins, qui l’espace de quelques souffles répondent de partout assistés de leurs agents de sécurité. Les rafales d’armes qui s’ensuivent lui font penser aux tirs sur les fronts de guerre, au cinéma.
Sur les tuiles au-dessus de sa tête en pluie des centaines d’éclats retombent. «Tu entends les paillettes magiques?», a-t-elle étrangement l’inspiration de raconter à son petit garçon pour le rassurer, le serrant fort dans ses bras. Elle pense à tant d’autres ayant vécu des instants similaires. Aux fatalités. Soudain une force immense l’envahie, la calme. Elle se met à remercier Dieu à voix basse pour tous ses bienfaits... Deux fois déjà, celui qui partage sa vie depuis plus de vingt ans, a échappé à la violence. Elle, plus d’une fois. Ses enfants, aussi. Elle s’accroche à cette pensée. Dans la maison elle entend les sanglots de plus en plus affaiblis de sa fille appelant son père qui ne répond toujours pas.
Le long silence qui suit lui laisse croire que tout est fini cette fois pour son mari, peut-être même pour sa fille. Des images de sa vie défilent en rapides séquences dans sa tête. Elle imagine..., imagine... Quatre, cinq, dix, vingt minutes? Le temps n’existe plus.
Puis comme dans un rêve, elle croit entendre la voix hésitante de son mari: «Ils sont partis! Appelle un médecin!» Dans un premier temps, elle a peine à y croire. «C’est Papi, c’est Papi?» lui demande son fils, dans un élan d’espoir. Elle n’a plus de voix, elle secoue seulement la tête affirmativement en entrouvrant, tremblante, la porte de leur chambre. Figé, debout devant elle, son mari le visage, le cou, l’estomac ensanglantés, sans mot la regarde. Les carreaux ivoires des paliers sont tachés aussi de son sang... Elle le touche, il est froid. «Je m’en vais», balbutie-t-il, calmement, les lèvres bougeant à peine, s’effondrant sur leur lit. Eberluée, choquée, dans un vertige, elle l’observe en soulevant le combiné. Sur les deux lignes téléphoniques, le répondeur rappelle que leur «compte est à zéro!». Quant aux portables, le mot «Roam» se lit sur les cadrans, en lieu et place des numéros qu’elle tente désespérement de marquer! Alors, dans un silence étrange, elle ferme un instant les yeux, pour maintenir sa lucidité. Papa prie, dit-elle à leur fils...
Elle tire la porte de la maison sans regarder en arrière. Elle oublie le four allumé. Plus rien n’a d’importance. Son fils, les pieds nus, est dans ses bras. Dans la rue éclairée par les phares, une douzaine de voitures d’amis, d’autres amis d’amis qu’elle ne connaît pas, entourés de leurs agents de sécurité, sont là pour les assister, pour accompagner à l’hôpital son mari maintenant dans les bras de leur fille aînée, si courageuse.
Dans la nuit miraculeuse, elle entend la sirène. Sur son passage, elle voit la lumière rougeâtre tournoyer... Ce n’est pas un rêve. Que la vie est fragile, se dit-elle. Le chemin vers l’hôpital dans la voiture suivant celle accompagnant son mari, parait si long. Celui qui la conduit, elle le voit pour la première fois. Elle ne le connaît pas. Avec calme et compassion, il essaie de la rassurer, tandis que sur la radio de communication les voix fusent.
Au chevet de son mari, encore sur la civière, la famille et plus d’une cinquantaine d’amis, sont là. Des médecins surgissent de partout. La salle d’attente est envahie pour les réconforter. Le temps s’évapore à un rythme qu’elle ne peut évaluer... Enfin, elle entend le médecin en chef prononcer: «Il ne voit pas dans un oeil, mais il vivra!»
Dans une autre agression, celui qui l’accompagnait en voiture, à son tour, se retrouve aujourd’hui paralysé de la tête au pied, la colonne sectionnée par une arme à feu!
Copyright © | Geneviève Gaillard-Vanté, 2002 |
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By the same author | |
Date of publication | April 2003 |
Collection | Terre des mots |
Permalink | https://badosa.com/n158 |
Geneviève is a gifted writer. What a night, what a story. It is as if I was next to her and her son enjoying the egg rolls and duck sauce when suddenly I felt the gut wrenching rift, her husband's courage and selflessness, as he is yelling for her to lock herself in with her kids as robbers are attempting to assassinate him just a few feet away. I command her for her willingness to share this horrible evening with us. One should keep in mind though that it is the story of a miraculous night. I can hardly wait to read the rest of it!!!
J'ai lu avec plaisir La nuit miraculeuse qui relate d'une façon vibrante et pénétrante, les faits vécus par l'auteur. Elle a su trouver les mots justes qui reflètent d'une façon vivante l'angoisse et le désespoir qui sont ressentis dans des évènements aussi tragiques et malheureux. Je lui adresse tous mes compliments et lui souhaite de continuer dans sa brillante trajectoire d'écrivain et espère pouvoir lire très bientôt un autre de ses passionants récits.
This is a beautiful story but quite shocking story. when will be the next publication of this author? I would love to read another of her short stories!
Geneviève is an excellent writer, she captures your attention and makes you feel part of the story. Ombres du Temps, a novel occuring in Spain, takes one into the daily lives of the Spanish folks, their traditions, cultures, foods... The romance in Andalucia takes you into some daydreaming with a distinctive flavor of that area... I wish you could publish more short stories of her... Regards,
Décidément, tu es très douée. Tu as la capacité de faire rire comme de faire pleurer. Revivre ces moments douloureux m'ont fait monter les larmes aux yeux. Compliments, Geneviève, courts ou longs, tes récits me plaisent beaucoup.
Moving account of an horror story. The author succeeded through her style (using the third person) in making us actually live, clearly and simply what she went through with almost the same intensity of emotion. A very beautiful and unique piece.
Quite a moving story! And so well narrated. This author attracts her readers so much into the action, it's like seeing the scenes on a screen. We first read with great enthousiasm her novel Ombres du temps, which won the Prix Deschamps 2001. Geneviève Gaillard-Vanté to our opinion is greatly talented and deserves to be discovered. Thank you, we hope, for publishing on this site more of her work in the near future.
La nuit miraculeuse is an astonishing story. What a world! A dramatic event but treated by the author with such a talent! I would definitely want to read more by this author.
This is a well written short story. The author conveys very well the emotions and the intensity of the act.
Reading La nuit miraculeuse is indeed quite a shocking story but the art used by this author makes this astonishing situation turn into an amazing moment for its reader. She surely did make horror turn into such a beautiful story. I guess that is what makes the difference between an author and a special writer! I just also read Everlasting romanza; to me Geneviève sooner or later will get very far with her great talent.
J'ai eu le bonheur de lire Ombres du temps de Geneviève Gaillard-Vanté, ce fut des moments de pur délice. La finesse de l'écriture inaugure bien un nouveau grand talent. Aucun mot déplacé, aucune provocation, malgré la profusion des mots, c'est manifestement un sentiment esthétique de l'écrivaine pour ses lecteurs.
I have read some texts by this author, as good. She surely knows how to communicate the horror moment. And most reading her words brings a feeling of being there. Did like it very much. Waiting for some more, I hope.
I'm not sure what I can say about the story. I am very confused. Maybe I am too young to understand, but would someone care to explain to me what exactly happened in the story? The structure of it and the plot, etc.
C'est une histoire (conte) très intéressante. L'écrivain expose finement des moments de terreur.
Wow! C'est une histoire qui m'a réduit au néant en la lisant. Au néant ou presque, parce que j'étais insensible aux appels qui se faisaient autour de moi, méritant mon attention. Je me suis senti bouleversé de l'absurdité de la violence sociale et politique de chez nous qui a fait tant de victimes. J'ose espérer que ce récit, par son art indéniable et l'urgence de son cri, nous ouvrira les yeux vers un horizon meilleur.
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